24 heures de la vie d'un fan

A moins de 24 heures du sommet Les Herbiers/Chambly, demi-finale de Coupe de France (je me pince pour y croire...), voici le parcours, émotionnel et psychologique, d'un supporteur (et joueur) historique du club vendéen.

Dans ce genre de récit, la facilité serait de convoquer Nick Hornby et son "Fever Pitch". Le mythe immortel du supporteur anglais, dont la vie entière tourne autour de son club adoré. J'en ai connu des types pas loin de ça. Mark A., fils d'une téléphoniste et d'un plombier londonien, que son père emmenait à 4 ans à Highbury applaudir Arsenal. Plus tard, alors que le stade des Gunners était délaisssé et reconverti en un projet immobilier, cet ancien DJ de l'Hacienda à Manchester, proche de New Order et The Lotus Eaters, s'est offert un appartement dans l'ancien stade, avec vue sur la tribune nord.

"L'angoisse du gardien de but au moment du penalty". Peter Handke, appelé à la rescousse, n'a jamais gardé les buts de l'équipe d'Allemagne. Son héros est en revanche un ancien gardien de but, qui a raccroché les gants, et erre, désoeuvré.

"La plupart des gens n'ont qu'une imagination émoussée. Ce qui ne les touche pas directement, en leur enfonçant comme un coin aigu en plein cerveau, n'arrive guère à les émouvoir ; mais si devant leurs yeux, à portée immédiate de leur sensibilité, se produit quelque chose, même de peu d'importance, aussitôt bouillonne en eux une passion démesurée"....Que Stefan Zweig me pardonne. La passion, ici dévorante, racontée dans "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme", est celle d'une créature déjà mure, pour un jeune homme...

La passion, elle anime le supporteur, elle le bouffe, le submerge, et passe avant tout. Sa compagne ne le comprend pas. Le supporteur a du mal à se libérer ne serait-ce qu'un week end pour emmener en voyage celle qu'il aime, fêter leurs 10 ans de mariage.  En revanche, le supporteur trouve le temps de partir deux jours, retrouver des copains d'enfance et vibrer pour un match de Coupe de France.

Tout petit déjà, il collectionnait les posters de l'équipe d'Allemagne 1974, Sepp Maier et Paul Breitner. En 1978, avant le Mondial en Argentine, il écrivait à la Fédération française de foot, qui en retour lui envoyait les photos-cartes postales de Gérard Janvion, Christian Lopez, icones stéphanoises et André Rey, gardien messin titulaire chez les Bleus mais qui s'était blessé à un mois du Mundial.

A 24 heures d'un match "historique", le supporteur est déjà tout à son match. Il lit tout ce qu'il trouve, épluche l'Equipe, consulte les sites spécialisés.

Loin de sa base, le supporteur trépigne, il aimerait
partager son impatience. Les heures lui semblent longues avant le rendez-vous tant attendu. Il a connu la même impression avant Saint-Etienne/Bayern en 1976, Bastia/Eindhoven
et Sochaux/Francfort en Coupe de l'UEFA, France/Allemagne en 1982...Comment passer le temps, tout en restant dans cette attente fébrile...on aimerait que les heures défilent plus vite, mais on savoure chaque moment...

Difficile de partager avec ceux qu'on aime, qui ne peuvent pas comprendre cette passion irrationnelle qui dépasse le sport...ce n'est pas tant le match qu'on désire, c'est retrouver cette ambiance, cet état d'esprit, avant, pendant et après.

A 24 heures du match, la tension monte doucement. Il
faut encore vaquer aux occupations du quotidien, aller chercher les enfants, penser au dîner, mettre la table...mais on n'est pas totalement présent, il y a une partie de soi-même qui s'échappe, anticipe, espère.

Au journal de 20h00 de TF1, reportage sur Les Herbiers
et son président, patron d'une boite de consulting. Mon ami Marc V. a eu la gentillesse de me téléphoner pour me prévenir. Pour une fois, TF1 ne tombe pas trop dans les clichés...Aux Herbiers, taux de chômage largement en dessous de la moyenne nationale, réussite de PME familiales, mais salaires plus bas que la moyenne française....des joueurs qui gagnent 2500 euros par mois et qui
"espèrent être recrutés par de plus grands clubs la saison prochaine".

Le trophée de la Coupe de France présenté au bar PMU,
au milieu des supporteurs...M6, France 3. "Et s'ils gagnent, ils peuvent vraiment jouer contre Neymar et Mbappé ?" me demande ma fille. Il est bien là le miracle.

Nuit courte, debout à 5h00...pourquoi un simple match
de foot déclenche-t-il un tel engouement ? Pourquoi ai-je envie de retrouver ces visages, ces amis pas revus depuis 10, 15 ou 20 ans ? Comment donner une telle importance à une demi-finale de Coupe de France quand il y a tant de choses à régler dans ma vie ? Le foot, est-ce une façon de fuir ses problèmes ? De se retrouver dans une atmosphère rassurante, qui renvoie à l'enfance, à des
souvenirs sélectifs ?

Le foot, c'est la nostalgie, d'abord des mercredi et
samedi après-midi, entre copains. Puis celle des matchs du dimanche en juniors et seniors et des dernières compétitions à la fac, où la forme était encore là, avant de raccrocher les crampons. C'est aussi la nostalgie des grands matches à la télé, où les souvenirs de défaites sont souvent plus beaux et tenaces que ceux des victoires. Est-il raisonnable de dire que la défaite de 82 contre l'Allemagne, ou celle des Verts à Glasgow en 76 fait surgir plus d'émotions que le triomphe de 98 ?

J'ai embarqué à Genève, je suis dans l'avion pour
Nantes. Mon père, quand j'étais enfant, m'emmenait en début de saison à Marcel Saupin. On se collait derrière le grillage, et l'on pouvait presque toucher Bruno Baronchelli, Loïc Amisse et Henri Michel.

Dans quelques heures, on sera à la Beaujoire où en
1984 j'avais vu la France humilier la Belgique, avant de remporter l'Euro.

Sur cette même pelouse, dans ce même stade, Les
Herbiers (je me pince encore pour m'y croire) seront à 90 minutes d'une finale de Coupe de France...un imposible, un improbable exploit, pour marcher dans les pas de José Touré ou Michel Platini...et écrire de nouveaux souvenirs.

17 avril 2018


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